Conseil constitutionnel
Décision n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023
Association des avocats pénalistes [Conditions d’exécution des mesures de garde à vue]
Conformité - réserve
Cette QPC porte sur le premier alinéa de l’article 63-5 du code de procédure pénale. Selon l’association requérante, les dispositions en question conduisent à la mise en œuvre d’une garde à vue dans des conditions indignes. Atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine il y aurait dans la mesure où la décision de placement ou de maintien en garde à vue n’est pas « subordonnée aux capacités d’accueil et aux conditions matérielles des locaux dans lesquels cette mesure doit se dérouler ». Méconnaissant sa propre compétence, le législateur aurait porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.
Le Conseil fait lecture du Préambule de la Constitution de 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». De telles dispositions, il est loisible de déduire que « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. Par suite, toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine ». Concrètement, il revient aux autorités compétentes - autorités judiciaires et autorités de police judiciaire – « de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. À ce titre, elles doivent s’assurer que les locaux dans lesquels les personnes sont gardées à vue sont effectivement aménagés et entretenus dans des conditions qui garantissent le respect de ce principe ». De plus, ces mêmes autorités judiciaires ont pour obligation « de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d’ordonner la réparation des préjudices subis ».
Question : le législateur a-t-il entouré la mise en œuvre de la garde à vue de différentes garanties propres à assurer le respect de cette exigence ? Oui, selon le Conseil. Car « seules les mesures de sécurité strictement nécessaires peuvent être imposées à la personne gardée à vue » … celle-ci jouit du droit d’être examinée par un médecin se prononçant sur l’aptitude au maintien en garde à vue … le procès-verbal établi par l’officier de police judiciaire (OPJ) mentionne la durée des repos séparant ses auditions et les heures auxquelles elle a pu s’alimenter …
Le Conseil insiste particulièrement sur les garanties découlant de la présence d’un magistrat : « la mesure de garde à vue est décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Elle s’exécute, selon le cas, sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction. La personne gardée à vue a le droit de présenter à ce magistrat, lorsqu’il se prononce sur l’éventuelle prolongation de la garde à vue, des observations tendant à ce qu’il soit mis fin à cette mesure. Enfin, le procureur de la République doit contrôler l’état des locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an ». Le magistrat compétent – qui a pour mission d’assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue – peut ordonner, à tout moment, qu’elle soit présentée devant lui ou remise en liberté.
Reste que le Conseil réalise une réserve. En cas d’atteinte à la dignité de la personne lors d’une garde à vue, les dispositions législatives déférées doivent s’interpréter comme suit : elles « ne sauraient s’interpréter, sauf à méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, que comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d’ordonner sa remise en liberté. À défaut, la personne gardée à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation du préjudice en résultant ». Il s’ensuit que « Sous cette réserve, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine ».
Lorsqu’on connaît a minima les conditions de détention dans le cadre de nombreuses gardes à vue en France, l’on demeure interdit devant le raisonnement hors sol du Conseil constitutionnel.