Franck Laffaille - Université de Paris XIII

Conseil constitutionnel - Décision n°2023-1068 QPC du 17 novembre 2023
Mme Astrid A. [Vente par adjudication de droits incorporels saisis]
Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire

Les décisions du Conseil constitutionnel (CC) emportant non-conformité totale d’une loi sont toujours dignes d’intérêt. Tel est le cas de la décision n°2023-1068 QPC du 17 novembre 2023. Elle porte sur un thème qui n’est pas de peu : la saisie et vente forcée de droits incorporels. Il s’agit donc d’une QPC relative aux voies d’exécution, plus précisément au régime des procédures de saisie. Elles permettent aux créanciers porteurs d’un titre exécutoire d’obtenir paiement des créances par eux détenues sur les biens de leurs débiteurs.

Le CC a été saisi par la Cour de cassation (arrêt du 12 septembre 2023, 2ème chambre civile) sur le fondement suivant : «À défaut de disposition législative instituant, en matière de vente sous forme d’adjudication des droits incorporels, un recours effectif du débiteur sur le montant de la mise à prix, lequel est fixé unilatéralement par le créancier poursuivant, la question d’une éventuelle méconnaissance par le législateur de sa propre compétence est susceptible de se poser au regard des droits et libertés garantis par les articles 2, 16 et 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789»[1]. La requérante à l’origine de la QPC avait subi une saisie puis une vente forcée de parts sociales ; elle n’avait pu en contester, devant le juge, le montant de la mise à prix.

Le CC fait lecture des dispositions législatives relatives aux compétences du juge de l’exécution en matière de saisie (article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire, rédaction de la loi du 23 mars 2019). Puis, il est rappelé que «Tout créancier muni d’un titre exécutoire constatant une créance liquide et exigible peut faire procéder à la saisie et à la vente des droits incorporels, autres que les créances de sommes d’argent, dont son débiteur est titulaire» (article L. 231-1 du code des procédures civiles d’exécution, rédaction de l’ordonnance du 19 décembre 2011). Enfin, est visé l’article L. 233-1 du code des procédures civiles d’exécution : «Seuls sont admis à faire valoir leurs droits sur le prix de la vente les créanciers saisissants ou opposants qui se sont manifestés avant la vente».

Selon la requérante, les dispositions déférées ne prévoient pas – dans l’hypothèse d’une vente par adjudication consécutive à une saisie de droits incorporels - la possibilité suivante : le débiteur ne peut pas contester devant le juge de l’exécution le montant de la mise à prix. Or, il peut advenir – et cela est parfois le cas, d’où l’intérêt de cette QPC – que la vente des droits saisis advienne à un prix manifestement insuffisant. Ce faisant, le législateur aurait fait montre – toujours selon la requérante – d’incompétence négative : seraient affectés tant son droit de propriété que son droit à un recours juridictionnel effectif. A l’aune de ces prétentions, le CC constate que la QPC porte sur les mots « des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée » figurant au premier alinéa de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire.

La requérante ayant invoqué un grief tiré d’une incompétence négative du législateur, le CC ne peut faire à moins que de rappeler (implicitement[2]) sa jurisprudence en la matière : s’il est possible d’invoquer la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence dans le cadre d’une QPC, cela ne peut survenir que si «cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit»[3]. Puis, le CC se réfère aux articles 34 C. et 16 de la DDHC de 1789. En vertu de l’article 34 C., le législateur est compétent pour «déterminer les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales, définir les modalités selon lesquelles, permettre le paiement des obligations civiles et commerciales, les droits patrimoniaux des créanciers et des débiteurs doivent être conciliés». Il s’agit, souligne le CC, de concilier de manière idoine les droits patrimoniaux des créanciers et des débiteurs: or, il appert que l’exécution forcée sur les biens d’un débiteur relève de la catégorie des mesures visant à assurer une telle conciliation. Quant à l’article 16 de la DDHC de 1789, il dispose que «Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution». Sur le fondement même de cette disposition, il ne saurait être porté «d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction». Par la négative, le législateur ne saurait priver un débiteur (puisque telle est la situation de la requérante) du droit au recours effectif devant un juge.

Pour évaluer si les dispositions déférées méritent censure, le CC rappelle le cheminement juridique et judiciaire prévu par le code des procédures civiles d’exécution, le code de l’organisation judiciaire, ainsi que la jurisprudence constante de la Cour de cassation. En vertu du code des procédures civiles d’exécution (article L. 231-1), saisie et vente forcée de droits incorporels il peut y avoir à la demande d’un créancier muni d’un titre exécutoire. En vertu du code de l’organisation judiciaire (article L. 213-6), compétence du juge de l’exécution il y a afin de trancher les contestations relatives à une exécution forcée. Il est ensuite fait mention de la jurisprudence constante de la Cour de cassation (cf. l’arrêt de renvoi, le CC a été saisi par le juge judiciaire). Dans l’hypothèse d’une vente par adjudication des droits saisis, le montant de mise à prix est déterminé – de manière unilatérale – par le créancier ; en outre, le juge de l’exécution est incompétent s’agissant de l’éventuelle contestation de ce montant. Le CC opère un constat qui anticipe la censure de la disposition législative contestée: dans le droit positif, il n’existe aucune autre disposition permettant à un débiteur de se tourner devant le juge pour contester le montant de la mise à prix. Rappelons que le créancier fixe – unilatéralement - le montant de mise à prix…  

Il est évident que cette carence normative emporte des «conséquences significatives» sur la situation financière du débiteur : la détermination du montant de la mise à prix des droits saisis lui échappe complètement et découle de la volonté du créancier … il ne peut contester ce montant devant un juge. Logiquement, le CC énonce qu’«il appartenait au législateur d’instaurer une voie de recours», ce qu’il n’a point fait jusqu’alors. Les dispositions contestées sont entachées d’incompétence négative tant le droit à un recours juridictionnel effectif est affecté de manière substantielle. Contrariété à la Constitution il y a, sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’autre grief formulé par la requérante. Le CC intervient en défense légitime du droit à un recours juridictionnel effectif qui ne saurait être atteint en sa substance. D’autant que dans le cas présent, aucune cause pertinente ne vient justifier le maintien des dispositions déférées: point de motif légitime ici, à l’instar de la bonne administration de la justice (OVC: objectif de valeur constitutionnelle), du bon usage des deniers publics, de la sécurité juridique des relations contractuelles, ou encore de la prévention des recours abusifs et dilatoires.

S’agissant des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, le CC fait lecture de l’article 62-2 C.: «Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause». En principe, il va de soi que toute déclaration d’inconstitutionnalité doit bénéficier à l’auteur de la QPC et que toute disposition déclarée inconstitutionnelle ne peut recevoir applications dans les instances en cours (à la date de la publication de la décision du CC). Cependant, le CC peut fixer la date de l’abrogation de la loi et reporter dans le temps les effets de cette dernière. Le CC peut encore remettre en cause des effets produits par la disposition avant même la déclaration de non constitutionnalité. Le CC est également compétent pour «s’opposer à l’engagement de la responsabilité de l’État du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d’en déterminer les conditions ou limites particulières». Si le CC prend soin de mettre en exergue ces différents éléments, c’est pour reporter la date de l’abrogation des dispositions par lui censurées. Leur immédiate abrogation génèrerait «des conséquences manifestement excessives» ; la date de leur abrogation est reportée au 1er décembre 2024. Le CC utilise ici la célèbre formule balai – en guise de (fausse) humilité herméneutique – selon laquelle il «ne dispose pas d'un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement». Par conséquent, il estime ne pas pouvoir indiquer les modifications normatives à accomplir pour purger la loi de son vice originel. Il ne lui appartient pas de remédier – par le truchement d’une décision manipulative dirait-on en Italie - à l’inconstitutionnalité déclarée. Toutefois, le CC achève sa décision par un notable – et louable – interventionnisme juridictionnel. Les droits de la requérante – et de toutes les personnes placées, mutatis mutandis, dans une similaire situation – ne peuvent être lésés en l’attente d’une nouvelle norme législative. Aussi le CC estime-t-il impératif que cesse l’inconstitutionnalité constatée dès la publication de sa décision. Il s’ensuit que le débiteur peut - jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, au 1er décembre 2024 – s’adresser au juge de l’exécution (cf. l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire). Cela signifie que le débiteur peut contester le montant de la mise à prix pour l’adjudication des droits incorporels saisis. Salutaire décision.

 

[1] «Commentaire» de la décision sur le site du CC. https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20231068QPC.htm.

[2] Décision n°67-31 DC du 26 janvier 1967.

[3] Décision n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010. Décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012. Décision n° 2020-889 QPC du 12 mars 2021.

Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023

Association des avocats pénalistes [Conditions d’exécution des mesures de garde à vue]

Conformité - réserve

Cette QPC porte sur le premier alinéa de l’article 63-5 du code de procédure pénale. Selon l’association requérante, les dispositions en question conduisent à la mise en œuvre d’une garde à vue dans des conditions indignes. Atteinte au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine il y aurait dans la mesure où la décision de placement ou de maintien en garde à vue n’est pas « subordonnée aux capacités d’accueil et aux conditions matérielles des locaux dans lesquels cette mesure doit se dérouler ». Méconnaissant sa propre compétence, le législateur aurait porté une atteinte injustifiée et disproportionnée au principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine.

Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023

Association Meuse nature environnement et autres [Stockage en couche géologique profonde des déchets radioactifs]

Conformité

La présente QPC vise l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement (rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016) relatif aux modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

Selon les requérants, les dispositions visées ne garantissent pas la réversibilité du stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs au-delà d’une période de cent ans. Cela empêcherait les générations futures de revenir sur un tel choix. Or, il appert que cette atteinte irrémédiable à l’environnement – cf. en particulier la ressource en eau –compromettrait leur capacité à satisfaire leurs besoins. Il y aurait méconnaissance du droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé (cf. l’article 1er de la Charte de l’environnement). Il y aurait encore méconnaissance des principes de solidarité et de fraternité entre les générations, principes que les requérants demandent au juge de consacrer.

Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-856 DC du 16 novembre 2023

Loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire

Non conformité partielle - réserve

Saisi par la Ière Ministre, le Conseil constitutionnel étudie la régularité de la Loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire. Adoptée sur le fondement de l’article 64 C. (« Une loi organique porte statut des magistrats ») et de l’article 65 C. (relatif au CSM), elle a été adoptée dans le respect de l’article 46 C. (procédure d’adoption des lois organiques).

Les dispositions déférées réforment certaines voies d’accès au corps judiciaire et d’intégration provisoire à temps plein de magistrats ; est encore modifiée l’ordonnance du 22 décembre 1958 relative à l’expression publique des magistrats.

Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1073 QPC du 1er décembre 2023

M, Matthieu V. et autre [Cumul des mandats de député et de conseiller de la métropole de Lyon]

Conformité - réserve

Saisi par le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel est appelé à se prononcer sur la régularité constitutionnelle du premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral (rédaction résultant de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014) interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur. En vertu de cet article, « Le mandat de député est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats énumérés ci-après : conseiller régional, conseiller à l’Assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l’assemblée de Guyane, conseiller à l’assemblée de Martinique, conseiller municipal d’une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre ». Selon les requérants, il est institué une différence de traitement injustifiée entre les conseillers de la métropole de Lyon (non soumis à la règle d’incompatibilité parlementaire prévue), et les conseillers départementaux (auxquels s’applique cette règle). Or, ajoutent les requérants, les attributions exercées par les deux catégories de conseillers sont similaires. Violation du principe d’égalité devant la loi il y aurait donc.

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