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Osservatorio sulle fonti / Observatory on Sources of Law ---------------------------------------------------------------------------- Section: Sources of Law in the EU member States FRANCE By Franck Laffaille, Université de Paris XIII, IDPS, Sorbonne/Paris/Nord |
Name of the Act/s |
Conseil constitutionnel Décision n° 2021-834 DC du 20 janvier 2022Loi relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure Non conformité partielle - réserve
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Comment |
La loi déférée permet de placer sous vidéosurveillance une personne placée en garde à vue ou en retenue douanière ; la finalité d’une telle disposition est de prévenir les risques d'évasion et les menaces envers autrui. Ce faisant, le législateur a poursuivi l’OVC (objectif de valeur constitutionnelle) de prévention des atteintes à l'ordre public. Le placement en garde à vue ou retenue douanière est décidé par le seul chef du service responsable de la sécurité des lieux, et seulement s’il existe des raisons sérieuses de penser qu'un tel risque ou une telle menace pourrait se produire. Tout « usage généralisé et discrétionnaire » de ces mesures est, selon le CC, écarté grâce aux règles posées par le législateur. La constitutionnalité des dispositions contestées se mesure encore à l’aune du facteur temps : le placement sous vidéosurveillance doit connaître une durée « strictement nécessaire au regard du comportement de la personne concernée », il y est mis fin dès que les motifs qui l'ont justifiée ne sont plus réunis, sa durée maximale est de 24h. De surcroît, l’autorité judiciaire – gardienne de la liberté individuelle (article 66 C.) – peut y mettre fin à tout moment ; si prolongation il y a, elle découle d’une décision de l’autorité judiciaire et ne peut excéder la durée de la garde à vue ou de la retenue douanière. La personne gardée à vue ou retenue en douanes peut demander, à tout moment, à l’autorité judiciaire de mettre fin à la mesure répressive. Les mineurs et majeurs sous protection juridique font l’objet de mesures de protection spécifiques. Le CC concède que le placement sous vidéosurveillance permet un contrôle en temps réel de la personne. Cependant, différentes mesures protègeraient son intimité: obligation d’instituer un pare-vue il y a, l’emplacement des caméras est visible, les images ne peuvent être couplées avec un dispositif biométrique ou de captation du son, il ne peut y avoir interconnexion ou mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel. Si les dispositions déférées ne méritent pas censure, c’est encore parce qu’elles ne peuvent être consultées en temps réel que par « le chef de service ou par son représentant individuellement désigné et spécialement habilité par lui, pour les seules finalités autorisées ». Quant aux enregistrements, ils sont conservés sous la responsabilité du chef de service à l'issue de la garde à vue ou de la retenue douanière. Nulle autre personne ne peut avoir accès aux enregistrements dont la conservation est limitée à 48h (7 jours à compter du lendemain de la levée de la garde à vue ou de la retenue douanière si la personne visée en fait la demande). Les enregistrements peuvent être conservés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire; ils sont détruits au terme de cette procédure. Enfin, diverses garanties sont instituées: il est tenu un registre des systèmes de vidéosurveillance, un décret en Conseil d'État (pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés) garantit la sécurité des enregistrements et la traçabilité des accès aux images. Le CC s’adresse in fine au pouvoir réglementaire : échoit à ce dernier la mission de garantir, jusqu'à leur effacement, « l'intégrité des enregistrements » et « la traçabilité de toutes leurs consultations » (cette obligation valant également dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire). A l’aune de tous ces éléments, les dispositions contestées sont réputées ne pas méconnaître le droit au respect de la vie privée. Elles n’emportent pas également violation de l’article 66 C. : le placement sous vidéosurveillance d'une personne placée en garde à vue ou en retenue douanière ne constitue pas une mesure privative de liberté. Quelques remarques critiques : ce qui frappe à la lecture de la décision est le caractère formel, abstrait et administrativiste du raisonnement du CC. Ce dernier n’est guère exigeant quand il s’agit de penser les garanties effectives protégeant les citoyens. En quoi et pourquoi les mesures suivantes sont-elles effectivement synonymes de protection des libertés fondamentales ? … Placement en garde à vue ou retenue douanière décidé par le seul chef du service responsable de la sécurité des lieux (remarque: le principe hiérarchique serait-il, en lui-même et par lui-même, synonyme de garantie en matière de droits de l’homme?) … Raisons sérieuses de penser qu'il existe un risque ou une menace (remarque: l’autorité hiérarchique ne dispose-t-elle pas d’un pouvoir par trop discrétionnaire quant à la détermination des raisons sérieuses ?) … Emplacement visible des caméras … Consultation en temps réel par le seul chef de service … Décret en Conseil d'État, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, pour garantir la sécurité des enregistrements et la traçabilité des accès aux images (remarque: la liberté d’action conférée au pouvoir réglementaire n’est-elle pas trop importante ?) … Quid des drones ? Quid du traitement d'images issues de caméras installées sur des aéronefs sans personne à bord ? Telle était l’une des questions centrales de la saisine. Selon les saisissants, les normes contestées emportent violation de la Constitution. Le CC rappelle que le législateur peut autoriser la captation, l'enregistrement et la transmission d'images par des aéronefs circulant sans personne. Avec cette finalité : répondre aux objectifs de valeur constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions. Cependant, il s’avère que les drones peuvent capter - en tout lieu et sans que leur présence soit détectée - des images de nombreuses personnes et suivre leurs déplacements dans un vaste périmètre. Il s’ensuit que des garanties particulières de nature à sauvegarder le droit au respect de la vie privée doivent impérativement être instituées. Peuvent avoir recours à de tels aéronefs les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale ainsi que les militaires (afin de prévenir les atteintes à l'ordre public et protéger la sécurité des personnes et des biens). Selon le CC, les dispositions contestées portent “atteinte au droit au respect de la vie privée » dans la mesure où les aéronefs peuvent « capter et transmettre des images concernant un nombre très important de personnes, y compris en suivant leurs déplacements, dans de nombreux lieux et, le cas échéant, sans qu'elles en soient informées ». Reste à savoir si la loi passe avec succès le filtre de constitutionnalité au regard des autres principes mentionnés. Les mesures en question poursuivent un OVC, la prévention des atteintes à l'ordre public. Et « le législateur a précisément circonscrit les finalités justifiant le recours à ces dispositifs ». Les aéronefs peuvent seulement être usités : dans des lieux particulièrement exposés à des risques de commission de certaines infractions … pour protéger des bâtiments et installations publics et de leurs abords immédiats particulièrement exposés à des risques d'intrusion ou de dégradation … pour assurer la sécurité des rassemblements de personnes sur la voie publique ou dans des lieux ouverts au public (cf. les rassemblements ne nature à générer des troubles graves à l'ordre public) … pour prévenir les actes de terrorisme … pour réguler les flux de transport (cf. le maintien de l'ordre et de la sécurité publics) … pour surveiller les frontières et le secours aux personnes. A cette instant, une remarque critique – identique à celle réalisée en amont - doit être formulée: le CC n’est guère exigeant, voyant dans certaines entités les gardiens des droits fondamentaux. Comment ne pas être surpris de voir souligner le rôle fondamental du… préfet ? Lisons le CC : « « le recours à ces dispositifs ne peut être autorisé par le préfet que s'il est proportionné au regard de la finalité poursuivie ». En quoi (pourquoi) l’intervention du préfet serait-elle synonyme de protection effective des garanties fondamentales? Que l’on sache, le préfet est nommé en Conseil des Ministres et a pour mission de mettre en œuvre la politique du Gouvernement; il n’est en rien une autorité dont la mission première est de protéger les droits des individus contre les empiètements de l’Etat. Le préfet est le bras coercitif territorial du Gouvernement ! Aussi les propos du CC relatifs à l’intervention du préfet nous semblent-ils superfétatoires et pharisiens. Qu’importe – quand nous cogitons sur la dimension potentiellement liberticide d’une loi – que « l'autorisation du préfet détermine cette finalité et le périmètre strictement nécessaire pour l'atteindre ainsi que le nombre maximal de caméras pouvant être utilisées simultanément, au regard des autorisations déjà délivrées dans le même périmètre géographique » ! Le préfet est érigé en gardien des droits de l’homme, ce qui ne peut manquer de faire sourire en bien des pays ; la France est davantage, il est vrai, un Etat administratif qu’un Etat de justice... Le préfet devient (sic) le gardien du droit au respect de la vie privée : « Une telle autorisation ne saurait (…) sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être accordée qu'après que le préfet s'est assuré que le service ne peut employer d'autres moyens moins intrusifs au regard de ce droit ou que l'utilisation de ces autres moyens serait susceptible d'entraîner des menaces graves pour l'intégrité physique des agents ». Revenons aux dispositions législatives, notamment en ce qu’elles ne doivent pas recueillir les images de l'intérieur des domiciles ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées. Il est précisé que l'enregistrement doit être immédiatement interrompu dans l’hypothèse où de tels lieux seraient visualisés ; les images éventuellement enregistrées doivent être supprimées dans un délai maximal de 48h. Le CC n’est guère exigeant quant aux garanties effectives susceptibles d’éviter de telles atteintes à la vie privée ; le juge se contente, comme de coutume, de relire les dispositions contestées pour poser, de manière axiomatique, qu’elles sont conformes aux exigences constitutionnelles. Reste que le CC opère une réserve d’interprétation. Après avoir rappelé différentes limitations posées par le législateur (impossibilité pour les dispositifs aéroportés de procéder à la captation du son, de comporter de traitements automatisés de reconnaissance faciale, de procéder à un rapprochement, une interconnexion ou une mise en relation automatisée avec d'autres traitements de données à caractère personnel), le juge précise : « Toutefois, ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le droit au respect de la vie privée, être interprétées comme autorisant les services compétents à procéder à l'analyse des images au moyen d'autres systèmes automatisés de reconnaissance faciale qui ne seraient pas placés sur ces dispositifs aéroportés ». Constitutionnalité sous réserve il y a. Une censure advient. En vertu des dispositions contestées, il est possible - en cas d'urgence résultant d'« une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens » - de recourir à ces dispositifs aéroportés pour une durée pouvant atteindre 4h. Or, cela est possible sans autorisation du préfet, sans que cela soit réservé à des cas précis et d'une particulière gravité, sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance dudit préfet. Violation de la Constitution il y a présentement. Le préfet, encore et toujours... Méritent encore censure certaines dispositions relatives aux services de police municipale. La loi autorise les services de police municipale à procéder, au moyen de caméras installées sur des aéronefs, à la captation, à l'enregistrement et à la transmission d'images. Cela vaut à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, afin d’assurer leurs missions de prévention des atteintes à l'ordre public et de protection de la sécurité des personnes et des biens. Le CC constate que le législateur permet de recourir à ces dispositifs aéroportés pour assurer régulation des flux de transport et les mesures d'assistance et de secours aux personnes, ainsi que pour assurer la sécurité des manifestations sportives, récréatives ou culturelles. Or, le législateur n’a pas limité « cette dernière finalité aux manifestations particulièrement exposées à des risques de troubles graves à l'ordre public ». De plus, si le préfet doit autoriser le recours aux dispositifs aéroportés, il n’est pas prévu par la loi qu’il puisse y mettre fin lorsque les conditions de mise en œuvre de cette procédure ne sont plus réunies. En outre, la loi permet - « en cas d'urgence résultant d'« une exposition particulière et imprévisible à un risque d'atteinte caractérisée aux personnes ou aux biens » - de recourir immédiatement aux dispositifs aéroportés (pour une durée pouvant atteindre 4h). Il est possible de déployer ainsi les caméras aéroportées « sans autorisation du préfet, sans le réserver à des cas précis et d'une particulière gravité, et sans définir les informations qui doivent être portées à la connaissance de ce dernier ». Il y a alors contrariété à la Constitution, plus précisément violation du droit au respect de la vie privée. Sont par ailleurs déclarées conformes à la Constitution : les dispositions prévoyant que l'autorité judiciaire peut autoriser - dans le cadre d'une enquête ou d'une instruction - le recours à des dispositifs aéroportés (y compris sans personne à bord) ayant pour objet la captation, la fixation, la transmission et l'enregistrement sans leur consentement de l'image d'une ou de plusieurs personnes se trouvant dans un lieu public … les dispositions permettant à divers agents de l’Etat de procéder à un enregistrement de leurs interventions. Le CC émet une réserve d’interprétation; elle vise les droits de la défense et le droit à un procès équitable. Le CC constate que les caméras sont munies de dispositifs techniques garantissant l'intégrité des enregistrements et la traçabilité des consultations lorsqu'il y est procédé dans le cadre d'une intervention. Cependant, “ces dispositions ne sauraient s'interpréter, sauf à méconnaître les droits de la défense et le droit à un procès équitable, que comme impliquant que soient garanties, jusqu'à leur effacement, l'intégrité des enregistrements réalisés ainsi que la traçabilité de toutes leurs consultations ». Sous cette réserve, les droits de la défense et le droit à un procès équitable ne sont pas méconnus. |
Available Text |
https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2022/2021834DC.htm. |
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Conseil constitutionnel.Décision n° 2021-963 QPC du 20 janvier 2022.Fédération nationale des chasseurs (Indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles). Conformité |
Comment |
Le Conseil constitutionnel est saisi par la Fédération nationale des chasseurs qui conteste la régularité des dispositions du code de l'environnement relatives à l’indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et aux récoltes agricoles. Il faut rappeler que ce sont les fédérations départementales des chasseurs qui assurent l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier. Le législateur a poursuivi – en adoptant les dispositions déférées – un objectif d'intérêt général : assurer le financement de l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier aux cultures et récoltes agricoles. La prise en charge, par les fédérations, d’une telle indemnisation « est directement liée aux missions de service public » par elles assumées. En effet, les fédérations départementales des chasseurs participent à la gestion de la faune sauvage, coordonnent l'action des associations communales et intercommunales de chasse agréées, conduisent des actions de prévention des dégâts de gibier et élaborent un schéma départemental de gestion cynégétique (cf. les plans de chasse et les plans de gestion). Si indemnisation il y a, elle ne vise – souligne le CC – que « les dégâts causés aux cultures, aux inter-bandes des cultures pérennes, aux filets de récoltes agricoles ou aux récoltes agricoles ». De plus, cette indemnisation - seulement due quand les dégâts sont supérieurs à un seuil minimal - fait l'objet d'un abattement proportionnel. Réduction de l’indemnité il peut y avoir s’il est avéré que l'exploitant a une part de responsabilité dans la survenance des dégâts ; il n’y a point d’indemnité en cas de dommages causés par des gibiers provenant du propre fonds de l'exploitant. Enfin, la fédération départementale des chasseurs peut demander au responsable de lui verser le montant de l'indemnité accordée à l'exploitant. Au regard de « la charge financière que représente en l'état l'indemnisation des dégâts causés par le grand gibier », le législateur n’a pas opéré de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il n’existe aucune violation de l'article 13 de la Déclaration de 1789. Les dispositions contestées ne sont pas réputées violer le droit de propriété ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit ; elles sont conformes à la Constitution. |
Available Text |
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045057818. |
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Conseil constitutionnel. Décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022 Loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique Non conformité partielle – réserve |
Comment |
Les parlementaires saisissants contestent la régularité de la loi du 31 mai 2021 qui permet au Premier ministre de subordonner l'accès à certains lieux à la présentation du « passe vaccinal ». Selon eux, il y aurait méconnaissance de la liberté d'aller et de venir, de la liberté de se réunir et du droit d'expression collective des idées et des opinions. Seraient en outre méconnus le droit au respect de la vie privée, le droit de mener une vie familiale normale, le droit à l'emploi ainsi que l'intérêt supérieur de l'enfant. Les dispositions déférées instaureraient une obligation vaccinale ni nécessaire ni proportionnée. Quant au « motif impérieux d'ordre familial ou de santé » - qui permet, par exception, d'accéder aux transports publics interrégionaux sans présenter un justificatif de statut vaccinal – il serait imprécis et trop restrictif. En outre, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence en confiant au pouvoir réglementaire des prérogatives par trop étendues et indéterminées. Le CC fait lecture du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (la Nation « garantit à tous … la protection de la santé ») ; sur ce fondement, en découle un objectif de valeur constitutionnelle (OVC) de protection de la santé. Le juge souligne combien il revient au législateur d'assurer la conciliation entre cet OVC et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Notamment : la liberté d'aller et de venir (composante de la liberté personnelle, cf. les articles 2 et 4 de la DDHC de 1789), le droit au respect de la vie privée (cf. l’article 2 de la DDHC de 1789), le droit d'expression collective des idées et des opinions (cf. l'article 11 de la DDHC de 1789). Les dispositions déférées limitent l'accès à certains lieux ; elles peuvent ainsi porter atteinte à la liberté d'aller et de venir et au droit d'expression collective des idées et des opinions (en raison des limitations apportées à la liberté de se réunir). Cependant, « le législateur a entendu permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures visant à lutter contre l'épidémie de covid-19 par le recours à la vaccination. Il a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé ». On avoue être en harmonie, sur ce point, avec la position du CC ; en effet, les restrictions aux droits fondamentaux instituées ont pour finalité de protéger la santé de la population (OVC), nul ne le conteste. On attendait cependant une articulation argumentative plus substantielle de la part du juge. La question n’est pas de savoir si les dispositions contestées restreignent les droits des individus au nom de la protection de la santé ; la question est de savoir si elles sont nécessaires et proportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Or, le CC se contente de s’appuyer sur « l'état des connaissances scientifiques » (cf. les avis scientifiques du 24 décembre 2021 et du 13 janvier 2022) et sur une logique temporelle (application des normes jusqu'au 31 juillet 2022). Juge ontologiquement taiseux, le CC utilise – lorsqu’il ne veut pas censurer le Parlement, organe politique – sa fameuse phrase balai : Le Conseil constitutionnel “ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ». Le CC refuse de remettre en cause l'appréciation, par le législateur, du risque sanitaire ; tout comme il ne lui revient pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé pouvait être atteint par le truchement « d'autres voies ». Les appréciations du législateur ne sont pas regardées manifestement inadéquates au regard de l'objectif poursuivi et de la situation présente. Existait-il « d'autres voies » possibles pour atteindre l’objectif proclamé ? Le CC refuse de cogiter sur la chose et c’est ici qu’apparait la faille : contrairement à nombre de ses homologues étrangers, il ne veut pas faire sienne la théorie du moindre sacrifice. Ne le faisant pas, il réduit son office herméneutique à peu de chose ; en quoi consiste un contrôle de constitutionnalité des lois si le juge refuse de s’interroger sur l’existence de moyens autres (« d'autres voies ») moins attentatoires aux droits fondamentaux ? A peu de chose… A sa décharge, le CC insiste sur les points suivants : les mesures restrictives s’appliquent à des activités « qui mettent en présence simultanément un nombre important de personnes en un même lieu et présentent ainsi un risque accru de propagation du virus » (transports publics interrégionaux, centres commerciaux, foires, restauration…). Le CC insiste encore sur les garanties instituées par la loi : accès aux biens et services de première nécessité … accès aux moyens de transport accessibles dans l'enceinte de ces magasins et centres … présentation d'un examen de dépistage virologique négatif en lieu et place du « passe vaccinal » en cas de « motif impérieux d'ordre familial ou de santé » … non présentation obligatoire du « passe vaccinal » en matière d’activité politique, syndicale ou cultuelle (cf. CC, décision du 31 mai 2021). Ici, nous avons une décision minimalement motivée de la part du juge qui ajoute (et le propos mérite citation intégrale) : « « les mesures contestées ne peuvent être prises que dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19 et si la situation sanitaire le justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, appréciées en tenant compte des indicateurs sanitaires tels que le taux de vaccination, le taux de positivité des tests de dépistage, le taux d'incidence ou le taux de saturation des lits de réanimation. Elles doivent être strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu'elles ne sont plus nécessaires ». Encore faut-il que les différents éléments mentionnés en amont (les indicateurs sanitaires) soient scrutés avec attention et rigueur par le juge administratif quand le pouvoir réglementaire intervient ; cela reste à démontrer… Pour en revenir au CC, celui-ci souligne que l’obligation du « passe vaccinal » ne correspond pas à une « obligation de vaccination ». Pour toutes ces raisons, les dispositions déférées par les parlementaires sont régulières. Elles ne sont pas entachées d'incompétence négative, opérant une « conciliation équilibrée » entre les diverses exigences constitutionnelles mentionnées en amont. Autre question posée au CC : quid des obligations imposées au titre du « passe vaccinal » à certains salariés et agents publics ? Il y aurait, selon les saisissants, méconnaissance du droit à l’emploi. Le CC rappelle ce classique fil rouge : « Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Parmi ces droits et libertés figurent la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, et le droit pour chacun d'obtenir un emploi qui résulte du cinquième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ». Au regard de la loi déférée, obligation il y a de présenter un « passe vaccinal » pour les personnes travaillant dans différents lieux (activités de loisirs, restauration commerciale, foires, séminaires, salons professionnels, transports publics interrégionaux, certains grands magasins et centres commerciaux). A défaut de présenter un « passe vaccinal », les personnes concernées peuvent subir une suspension de leur contrat de travail. En une formule saillante, le CC estime que de telles dispositions ont « la même portée qu'une obligation de vaccination contre la covid-19 » à l’aune des conséquences qu’elles génèrent. Le propos n’est pas de peu: cela signifie que le législateur impose, de fait, l’équivalent d’une obligation de vaccination pour ceux et celles souhaitant continuer à exercer leur activité professionnelle. Le CC n’apporte pas de plus amples développements. Au contraire, il insiste sur le fait que les dispositions en question poursuivent l'OVC de protection de la santé (ce qui est exact), que « les personnes vaccinées présentent des risques de transmission du virus et de développement d'une forme grave de la maladie bien plus faibles que les personnes non vaccinées » (ce qui est exact). Puis advient la phrase qui nous permet de savoir que de censure il n’y aura point ici : « Il n'appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l'état des connaissances scientifiques, les dispositions prises par le législateur ni de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que, comme c'est le cas en l'espèce, les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé ». Les dispositions contestées sont réputées opérer une conciliation équilibrée entre les exigences constitutionnelles précitées. Quid maintenant de l’obligation de produire un document officiel lors du contrôle de la détention du « passe vaccinal » et du « passe sanitaire » ? Selon les parlementaires saisissants, il y aurait méconnaissance de l’article 12 de la DDHC de 1789 (irrégulière délégation à des personnes privées des missions de police administrative). En outre, il serait porté atteinte au droit au respect de la vie privée (accès à des données personnelles). Le CC rappelle qu’il est prohibé « de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits ». En l’espèce, il estime que les dispositions déférées ont une portée limitée ; elles « se bornent à »… Elles « se bornent à permettre à l'exploitant d'un lieu de demander un document officiel (avec photographie). Et la conséquence du refus de présentation du document officiel est jugée limitée : la personne ne peut accéder au lieu. Il n’existe pas – selon le CC - de délégation des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. Quant à la finalité de l’obligation instituée (assurer l'effectivité de l'obligation de détention d'un « passe » vaccinal ou sanitaire pour l'accès à certains lieux), elle est d’évidence : le législateur a poursuivi l’OVC de protection de la santé. En outre, il s’agit seulement, précise le CC, d’une présentation de document ; les personnes réalisant le contrôle ne peuvent conserver ce document ou le réutiliser, sous peine de sanctions pénales. Ces garanties sont regardées suffisantes. Les dispositions déférées ne portent pas atteinte au droit au respect de la vie privée. Le CC précise que ces dispositions ne sauraient conduire – dans leur mise en œuvre – à des discriminations « de quelque nature que ce soit entre les personnes » ; si tel était le cas, s’ensuivrait naturellement une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi. Quid maintenant de la répression des manquements aux obligations de contrôle de la détention d'un « passe vaccinal » ou d'un « passe sanitaire » ? Selon les députés requérants, les peines instituées seraient disproportionnées au regard des manquements susceptibles d'être reprochés aux professionnels en charge d’exiger la production d’un tel document. Le CC fait lecture de l'article 8 de la DDHC de 1789 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée ». Aussitôt, le juge ajoute que « L'article 61 de la Constitution ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ». Certes, la nécessité des peines attachées aux infractions relève du pouvoir d'appréciation du législateur ; reste qu’il appartient au CC de « s'assurer de l'absence de disproportion manifeste entre l'infraction et la peine encourue ». En l’espèce, si un exploitant (d'un lieu ou d'un établissement) ou un professionnel responsable d'un événement ne contrôle pas la détention d'un « passe sanitaire » (après mise en demeure par l'autorité administrative et manquement constaté à plus de trois reprises au cours d'une période de quarante-cinq jours), il peut être condamné à un an d'emprisonnement et à 9 000 euros d'amende. Selon le CC, les sanctions instituées ne sont pas « manifestement disproportionnées » à l’aune du de la nature du comportement réprimé. De censure, il n’y a point ; le grief tiré de la méconnaissance du principe de proportionnalité des peines est écarté. Une censure advient s’agissant des dispositions subordonnant l'accès à une réunion politique à la présentation d'un « passe sanitaire ». Le CC fait lecture de l'article 11 de la DDHC de 1789 : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ». Puis le juge cite sa jurisprudence classique en la matière : « La liberté d'expression et de communication, dont découle le droit d'expression collective des idées et des opinions, est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il s'ensuit que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté et de ce droit doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ». Il revient ainsi au législateur d’opérer une idoine conciliation entre l’OVC de protection de la santé et le respect des droits et libertés constitutionnellement garantis. Parmi ces droits et libertés, on trouve naturellement le droit au respect de la vie privée (article 2 de la DDHC de 1789) et le droit d'expression collective des idées et des opinions (article 11 de la DDHC de 1789). La loi déférée prévoit que le responsable de l'organisation d'une réunion politique peut en subordonner l'accès à : la présentation du résultat négatif d'un examen de dépistage virologique ou un justificatif de statut vaccinal ou un certificat de rétablissement à la suite d'une contamination. Certes, concède le CC, le législateur a poursuivi, par l’adoption de telles dispositions, l’OVC de protection de la santé. Cependant, point de conciliation équilibrée entre les diverses exigences constitutionnelles. En effet, « les dispositions contestées n'ont soumis l'édiction de telles mesures par l'organisateur de la réunion politique ni à la condition qu'elles soient prises dans l'intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre l'épidémie de covid-19, ni à celle que la situation sanitaire les justifie au regard de la circulation virale ou de ses conséquences sur le système de santé, ni même à celle que ces mesures soient strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu ». Les dispositions contestées sont déclarées contraires à la Constitution. La loi institue des mesures de mise en quarantaine et d'isolement ; les agents habilités des services préfectoraux peuvent accéder à certaines données. Le CC rappelle que l'article 2 de la DDHC de 1789 implique le droit au respect de la vie privée. Il s’ensuit que « la collecte, l'enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d'intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». Une « particulière vigilance » s’impose quand sont en jeu des données à caractère personnel de nature médicale. La loi déférée prévoit que les données relatives à la santé des personnes atteintes par le virus (et des personnes en contact avec elles) sont traitées et partagées dans le cadre de systèmes d'information (et cela, le cas échéant sans leur consentement). Point de censure. Le législateur a poursuivi l’OVC de protection de la santé en améliorant le contrôle du respect des mesures de mise en quarantaine et d'isolement. De plus, il existerait, selon le CC, des garanties : « seuls les agents des services préfectoraux ayant à connaître des mesures de mises en quarantaine et d'isolement pourront être spécialement habilités à recevoir des données issues des systèmes d'information. Ils n'auront accès qu'à celles strictement nécessaires à l'adaptation de l'organisation des contrôles de ces mesures en fonction des dates et des résultats des examens de dépistages virologiques des personnes concernées. En outre, ces agents sont soumis au secret professionnel et encourent les sanctions prévues à l'article 226-13 du code pénal en cas de révélation d'une information issue de ces données ». De méconnaissance du droit au respect de la vie privée il n’y a pas. |
Available Text |
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045062874. |